Hubert-Félix Thiéfaine
Exil sur planète-fantôme
En ce temps-là, nos fleurs vendaient leur viande aux chiens
Et nous habitions tous de sordides tripots
Avec des aiguillages pour nos petits matins
Quand le beau macadam nous traitait de salauds
Nous traitait de salaud

Nous vivions nos vertiges dans des vibrations folles
Et gerbions nos enzymes en nous gueulant : moteur !
Mais entre deux voyages, entre deux verres d'alcool
Nous n'avions pas le temps de décompter nos heures
De décompter nos heures

Nous étions les danseurs d'un monde à l'agonie
En même temps que fantômes conscients d'être mort-nés
Nous étions fossoyeurs d'un monde à l'agonie
En ce temps-là, le rien s'appelait quotidien
Et nous allions pointer dans les jobs interdits
Dans les musiques blêmes, dans les sombres parfums
Dans les dédales obscurs où plane la folie
Où plane la folie

Et nous avions des gueules à briser les miroirs
À ne montrer nos yeux que dans le contre-jour
Mais entre deux délires, entre deux idées noires
Nous étions les plus beaux, nous vivions à rebours
Nous vivions à rebours
Nous étions les danseurs d'un monde à l'agonie
En même temps que fantômes conscients d'être mort-nés
Nous étions fossoyeurs d'un monde à l'agonie
En ce temps-là, les gens s'appelaient citoyens
Nous, nous étions mutants, nous étions androgynes
Aujourd'hui, la tempête a lynché mes copains
Et je suis le dernier à rater mon suicide
À rater mon suicide

Mais je veux vivre encore plus ivre de cramer
Je veux ronger le mal jusque dans ses recoins
J'ai traîné mes vingt siècles d'inutilité
Je n'ai plus rien à perdre, mais j'en veux pour ma fin
J'en veux pour ma faim