DOM LOUIS, DOM JUAN, LA VIOLETTE, SGANARELLE.
LA VIOLETTE.- Monsieur, voilà Monsieur votre père.
DOM JUAN.- Ah, me voici bien, il me fallait cette visite pour me faire enrager.
DOM LOUIS.- Je vois bien que je vous embarrasse, et que vous vous passeriez fort aisément de ma venue. À dire vrai, nous nous incommodons étrangement l’un et l’autre, et si vous êtes las de me voir, je suis bien las aussi de vos déportements. Hélas, que nous savons peu ce que nous faisons, quand nous ne laissons pas au Ciel le soin des choses qu’il nous faut, quand nous voulons être plus avisés que lui, et que nous venons à l’importuner par nos souhaits aveugles, et nos demandes inconsidérées ! J’ai souhaité un fils avec des ardeurs nonpareilles, je l’ai demandé sans relâche avec des transports incroyables, et ce fils que j’obtiens, en fatiguant le Ciel de vœux, est le chagrin et le supplice de cette vie même dont je croyais qu’il devait être la joie et la consolation. De quel œil, à votre avis, pensez-vous que je puisse voir cet amas d’actions indignes dont on a peine aux yeux du monde d’adoucir le mauvais visage, cette suite continuelle de méchantes affaires, qui nous réduisent à toutes heures à lasser les bontés du Souverain, et qui ont épuisé auprès de lui le mérite de mes services, et le crédit de mes amis ? Ah, quelle bassesse est la vôtre ! Ne rougissez-vous point de mériter si peu votre naissance ? Êtes-vous en droit, dites-moi, d’en tirer quelque vanité ? Et qu’avez-vous fait dans le monde pour être gentilhomme ? Croyez-vous qu’il suffise d’en porter le nom et les armes, et que ce nous soit une gloire d’être sorti d’un sang noble, lorsque nous vivons en infâmes ? Non, non, la naissance n’est rien où la vertu n’est pas. Aussi nous n’avons part à la gloire de nos ancêtres, qu’autant que nous nous efforçons de leur ressembler, et cet éclat de leurs actions qu’ils répandent sur nous, nous impose un engagement de leur faire le même honneur, de suivre les pas qu’ils nous tracent, et de ne point dégénérer de leurs vertus, si nous voulons être estimés leurs véritables descendants. Ainsi vous descendez en vain des aïeux dont vous êtes né, ils vous désavouent pour leur sang, et tout ce qu’ils ont fait d’illustre ne vous donne aucun avantage, au contraire, l’éclat n’en rejaillit sur vous qu’à votre déshonneur, et leur gloire est un flambeau qui éclaire aux yeux d’un chacun la honte de vos actions. Apprenez enfin qu’un gentilhomme qui vit mal, est un monstre dans la nature, que la vertu est le premier titre de noblesse, que je regarde bien moins au nom qu’on signe, qu’aux actions qu’on fait, et que je ferais plus d’état du fils d’un crocheteur, qui serait honnête homme, que du fils d’un monarque qui vivrait comme vous.
DOM JUAN.- Monsieur, si vous étiez assis, vous en seriez mieux pour parler.
DOM LOUIS.- Non, insolent, je ne veux point m’asseoir, ni parler davantage, et je vois bien que toutes mes paroles ne font rien sur ton âme ; mais sache, fils indigne, que la tendresse paternelle est poussée à bout par tes actions, que je saurai, plus tôt que tu ne penses, mettre une borne à tes dérèglements, prévenir sur toi le courroux du Ciel, et laver par ta punition la honte de t’avoir fait naître.
Il sort.