Georges Brassens
Lettre à Toussenot — 7 février 1949
Paris, le 7 février 1949

Mon cher vieux
Corne d'Aurochs s'est emballé malgré mes conseils de prudence. Il est allé trop loin ; il s'est donné de fausses joies
Les deux chansons retenues attendent et attendront sans doute longtemps la vedette qui accepterait de les lancer. On ne place pas une chanson comme une maison, une police d'assurance ou un trait d'esprit. Mille auteurs de conneries attendent leur tour dans cette foire où celui qui braille le plus fort est celui qu'on entend le mieux. La fortune n'est pas pour ce soir. Cela n'a aucune importance pour toi et pour moi, mais en a, par contre, pour Jeanne, pour Marcel, pour Émile
Ne crains rien pour le métal, tu sais bien que je suis né du côté des couleurs principales. Au reste, comment cette faune serait-elle capable de m'entamer alors que je parle une langue d'étranger et que je ne suis absolument pas polyglotte ?
Dimanche, j'ai écrit une cinquantaine de vers. Tu les liras bientôt
Paix de Bordeaux est très gentille de t'écrire, tu la remercieras de la part des oiseaux du cimetière Montparnasse
Je souhaite pour toi que tu passes souvent pour un imbécile. Tu le dis toi-même : il faut les laisser se déshonorer. En outre, que t'importe la réalité ? C'est Delacroix qui a dit : "La nature est un lexique, non un livre. Je voudrais ne jamais terminer les jeunes amoureux qui écrivent sur nous". C'est toute notre enfance que je mets là-dedans
Bonsoir, Roger, nous t'embrassons
Georges